Rejoprao-Mauritanie! Pour une pêche durable

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Une nouvelle base pour les accords ACP-UE

Une entrevue avec Stefaan Depypere, Directeur des affaires internationales et des marchés, DG Mare

Stefaan Depypere est directeur des Affaires internationales et des marchés, àla Directiongénérale des Affaires maritimes et dela Pêchedela Commissioneuropéenne. Auparavant, il a travaillé àla Directiongénérale du commerce, sur les instruments de défense commerciale.

Q  : Dans ses propositions de réforme de la PCP, la Commission insiste sur le fait que les navires de l'UE pourront seulement accéder au surplus de ressources qui ne peuvent pas être capturés localement. Mais une telle condition existait déjà par le passé. Donc, qu’est ce qui va changer concrètement ?

Le modèle proposé parla Commissaireest d'améliorer, en collaboration avec les instituts de recherche locaux, la recherche scientifique et l'exactitude de l'évaluation de l’état des stocks de poissons. Ce qui aidera à assurer qu'il y a suffisamment de connaissances pour déterminer si, oui ou non, il existe un surplus. En outre, les futurs accords de pêche reposeront sur l’approche de précaution : pas de surplus clair, pas d'accès pour les navires de l'UE.

Nous devons également envisager l'existence d’un surplus dans la dimension temporelle : par exemple, les céphalopodes ont un cycle de vie court – l'appréciation de l'existence d'un surplus pour une certaine période sera différente de celle concernant d'autres espèces à long cycle de vie.

Il y a une autre question cruciale que nous devons envisager à l'avenir, si nous voulons assurer que nos flottes accèdent uniquement au surplus de ressources : nous devons connaître l'effort de pêche cumulé, déployé par les flottes locales et étrangères dans les pêcheries ciblées par les navires de l'UE. Souvent, cette connaissance manque, parfois parce que les pays tiers n'ont pas la capacité de gérer l'effort de pêche total dans leurs eaux, parfois parce qu'ils ne révèlent pas toute l'information dont ils disposent. Par conséquent, nous voulons introduire une clause de transparence dans nos futurs accords, afin qu'il y ait la clarté pour toutes les parties concernées à propos de qui pêche quoi dans les eaux des pays tiers avec lesquels nous négocions un accord de pêche durable.

Q : Mais ces accords de pêche durables ne couvriront pas toutes les activités des flottes européennes actives dans les eaux des pays ACP. Comment seront gérées les activités des flottes externes européennes pêchant en dehors des accords de pêche ?

Une chose que nous voulons absolument éviter, c'est le re-pavillonnement abusif de navires européens vers des pays tiers dans les cas où leurs activités ne seraient pas en accord avec une exploitation durable des ressources.

A l’heure actuelle, nous avons une clause d'exclusivité dans les APP qui empêche les navires de l'UE de pêcher à l'extérieur de l'accord de pêche avec un pays tiers. Pour empêcher le contournement de cette clause d'exclusivité par le re-pavillonnement, les futurs accords devraient inclure une disposition stipulant qu'un navire de l'Union européenne qui change de pavillon pour échapper à ses obligations ou pour obtenir des possibilités de pêche supplémentaires ne sera plus autorisé à pêcher dansla ZEEdu pays partenaire.

Nous avons également un règlement concernant les autorisations de pêche, qui s'applique également pour les activités de pêche se déroulant à l'extérieur des eaux européennes, dont l'objectif est d'assurer que les opérations de nos navires de pêche européens sont durables.

Q : La commissaire a également souligné que certaines enjeux-clés abordés par la réforme, comme l'élimination de rejets, seront défendus aussi vigoureusement dans la dimension externe de la PCP…

En effet, nous voulons avoir une cohérence entre ce que nous faisons à l'intérieur et à l'extérieur des eaux européennes.

En ce qui concerne l'élimination des rejets, la situation est différente pour les diverses flottes de pêche pêchant à l'extérieur des eaux européennes. Les senneurs, par exemple, font seulement un petit pourcentage de rejets, - autour de 1 % -, et il existe des techniques qu'ils peuvent utiliser pour éviter les prises de dauphins, tortues, etc. Ce sera un défi pour cette flotte, bien sûr, - ils devront par exemple trouver des solutions pour diminuer les captures de requins non désirées -, mais nous pouvons nous attendre à ce que cette flotte soit en mesure de trouver des solutions pour éliminer progressivement les rejets.

Mais pour certaines autres flottes, les niveaux de prises accessoires sont beaucoup plus élevés, ce qui rendra le problème plus épineux, notamment pour améliorer radicalement la sélectivité.

Nous devons aussi réfléchir sur les impacts potentiels de certains aspects particuliers de nos propositions sur les rejets, tels que le débarquement obligatoire de toutes les captures. Je peux très bien imaginer que l’arrivée de grandes quantités de poissons initialement destinées à être rejetés puisse perturber les marchés africains locaux. En revanche, il pourrait y avoir des avantages en termes d’amélioration de la sécurité d’approvisionnement alimentaire pour les collectivités locales. Ceci pour illustrer que tous ces éléments devront être introduits progressivement, après un examen attentif de leurs impacts sur le développement de la pêche durable, tant en mer que sur terre.

Un autre défi en termes de cohérence entre ce que nous faisons dans les eaux européennes et à l'extérieur sera, pour nous, de promouvoir, par le biais de nos relations de pêche avec les pays partenaires, une politique maritime intégrée, qui comprenne non seulement les aspects de pêche, mais aussi d'autres usages durables des éco-systèmes marins, en vue de développer des avantages pour les populations locales.

L'appui financier accordé à la zone de protection marine du Banc d'Arguin, dans le plus récent protocole de l’APP UE-Mauritanie est une expérience intéressante : pourquoi ne pas accorder plus de soutien pour la création d’aires marines protégées bien conçues dans le cadre de nos accords de pêche futurs ? Pourquoi ne pas envisager les possibilités de mieux intégrer les opérations de nos flottes avec le tourisme local, les activités des communautés côtières, etc ?

Cette nouvelle approche, basée sur le développement durable intégré des zones côtières, justifie encore plus la nécessité d'améliorer la cohérence entre nos accords de pêche et notre politique de développement, qui peut fournir un appui pour les routes, l'eau potable, etc. – des éléments essentiels d'un développement intégré des zones côtières.

En tout cas, pour la mise en œuvre de ces nouvelles approches, nous voulons trouver des solutions taillées sur mesure, afin de s'adapter à des situations particulières, laissant un espace à la créativité, avec la collaboration de nos partenaires des pays tiers, le secteur de la pêche et les autres acteurs. La future politique européenne de la pêche ne sera pas être décrétée par Bruxelles…

Q : La proposition de la CE souligne également l'importance de développer des stratégies régionales pour les relations de pêche entre l’UE et les partenaires des pays tiers. Quels sont les aspects que vous allez prendre en compte dans l'élaboration de cette approche régionale ?

Le premier élément, évidemment, c’est de continuer à développer une approche régionale pour les accords qui couvrent les espèces migratrices, - les espèces thonières ou de petits pélagiques. Déjà, de nombreuses clauses sont harmonisées dans nos accords thoniers.

Une autre question qu’il est important de discuter avec nos partenaires des pays tiers, notamment dans le cadre de l'appui financier que l'Union européenne peut fournir, est la spécialisation potentielle des pays au sein d'une même région, concernant le développement d'activités à terre – il peut, par exemple, être économiquement plus viable d'avoir un seul pays qui développe des infrastructures portuaires régionales, tandis que ses voisins développeront des activités de transformation spécifiques, plutôt que d’avoir tous les pays d’une même région développant des activités similaires qui seront en compétition les unes avec les autres. Cela nous amènera aussi à réfléchir sur des questions telles que la mobilité des travailleurs de la pêche, le transport des produits de la pêche au sein d’une même région et entre régions, etc.

En fait, je dirais que nos principes pour développer des stratégies régionales sont semblables à ceux qui sous-tendent les APE : coopération commerciale et contribution à la gestion durable des ressources halieutiques.

Nous voudrions discuter ces idées avec nos partenaires, sur une base régionale ou même sur une base continentale : par exemple, idéalement, il serait bon de discuter de ces questions avec tous les pays africains assis autour de la table.

Q : Une autre partie de la réforme concerne la réforme de la politique des marchés. La proposition de la CE met l'accent sur un approvisionnement des marchés européens par des produits de la pêche durables. Est-ce que cette ‘augmentation des standards de production’ n’est pas susceptible de devenir un obstacle pour le commerce des pays ACP ?

Notre proposition est fondée sur deux principes fondamentaux : une traçabilité complète et la durabilité de l'approvisionnement. Le règlement de lutte contre la pêche INN, entré en vigueur en 2010, est déjà fondé sur la traçabilité comme moyen de freiner l’arrivée sur nos marchés de poissons capturés de façon illégale. Les pays ACP, profondément touchés par ces activités de pêche INN, seront les premiers bénéficiaires du commerce légitime et durable des produits de la pêche sur le marché de l’UE.

À l'avenir, si un produit de la pêche n'est pas traçable, producteurs et négociants, y compris des pays en développement, doivent savoir qu'ils ne pourront plus le vendre en Europe. Non pas en raison d'une réglementation européenne, mais parce que les consommateurs européens veulent aujourd’hui savoir d'où vient leur poisson, sa qualité, sa fraîcheur, mais aussi les conditions de production environnementales et sociales. Je suis convaincu que l’amélioration des dispositions concernant l'information des consommateurs va contribuer à l'amélioration globale de la gestion des pêcheries et accroître les avantages de ce développement durable pour ceux qui vivent de la pêche.

Je suis également convaincu que cela offrira des possibilités pour nos partenaires ACP en termes de différenciation de leurs produits, afin de promouvoir leurs qualités intrinsèques – par exemple, les indications géographiques peuvent être un outil utile, comme dans l'agriculture. En tout cas, je dirais que la nouvelle politique de marché offrira des possibilités à nos partenaires ACP de promouvoir la durabilité de leurs produits de la pêche et d’en obtenir un meilleur prix.

 

Q : Un pilier de la réforme de la dimension externe de la PCP est également la promotion de la bonne gouvernance. Comment cela va-t-il se concrétiser dans les futurs accords ?

La première chose que je voudrais mentionner, c’est la clause sur le respect des droits humains. Il n'y a aucune discussion possible à ce sujet. Et ce n’est pas une volonté de l'UE d’interférer avec la souveraineté des pays tiers. C'est simplement que l'opinion publique européenne n'accepte plus de consommer des poissons provenant de pays où les droits humains sont bafoués. C'est pourquoi nous voulons inclure une clause sur les droits humains dans nos futurs accords. 

Et je crois que ce sera aussi positif pour nos partenaires : la signature d'un accord de pêche avec l'Union européenne, fondé sur le respect des droits humains, leur donnera une reconnaissance officielle de leur engagement par rapport à ces droits.

Plus généralement, nous voulons améliorer la gouvernance en maximisant les impacts positifs de notre contribution financière. Nous avons vu dans le passé qu'il y avait des problèmes en termes de capacité d'absorption des fonds de la contribution financière. C'est pourquoi, à l'avenir, nous voulons que cette contribution corresponde aux besoins de nos partenaires : nous voulons que nos partenaires proposent des activités spécifiques ou des projets, basés sur une analyse des besoins, avec des estimations de coûts. Ce sera le fondement pour discuter de la contribution financière de l'accord.

Nous pensons qu’il est très important de séparer une telle coopération des coûts liés à l’accès.

Q : Auparavant, le paiement des coûts d’accès des opérateurs européens par des fonds publics a été considéré par certains comme une subvention aux flottes européennes….

Il y a plusieurs éléments à considérer ici. Auparavant, la contribution financière des accords de pêche de l'Union européenne a parfois été « gonflée», donnant l'illusion que l'accès à la pêche avait une valeur supérieure à sa valeur marchande.

Nous avons besoin maintenant de déterminer le niveau exact des coûts d'accès : nous devons examiner les séries de données historiques de capture, les estimations de la valeur du poisson, etc. Sur cette base, nous espérons que nos opérateurs seront de plus en plus à même de couvrir leurs frais d'accès.

Bien entendu, ce sera plus facile pour certaines flottes que pour d'autres, et c’est pourquoi nous devons aussi mieux comprendre l'économie des différentes flottes européennes, afin de concevoir des plans appropriés pour leur avenir.

Pour cet aspect de la réforme de la dimension extérieure PCP, comme pour tous les autres que nous avons discutés, ce que nous proposons est un saut qualitatif, qui, avec l'aide de nos partenaires de pays tiers, apportera une contribution à la bonne gouvernance et à une gestion des pêches durable.

Source Agritrade (http://agritrade.cta.int/fr/Peche/Sujets/Entretien-point-de-vue-d-acteurs-ACP-UE/Une-nouvelle-base-pour-les-accords-ACP-UE)



20/09/2011
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