Audition au PE sur le protocole de pêche RIM-Ue- : Sid’Ahmed Abeid prône la transparence pour une pêche durable !
Le président de la section pêche artisanale mauritanienne, Sid’Ahmed Ould Abdeid, invité lundi à s’exprimer sur la teneur du nouveau protocole de pêche entre notre pays et l’Ue, a prôné plus de transparence et d’équité dans la conclusion d’un nouvel accord.
Le président de la FNP, section pêche artisanale, qui a étalé l’expérience de la pêche artisanale, a encore rappelé les exigences d’une pêche durable et réitéré le souhait que l’Ue reste le partenaire privilégié de son pays dans le secteur des pêches.
Ould Abeid qui s’exprimait devant un Parlement européen profondément divisé sur la suite à donner au futur accord de partenariat de pêche a encore appelé à un « PARTENARIAT JUSTE » entre les deux parties exhortant les européens à favoriser l’exclusivité de la pêche au poulpe aux artisans mauritaniens expliquant que la doléance avait été faites aux autorités mauritaniennes lors de la négociation de la convention de pêche signée avec la société chinoise, Polyhondone, en 2011.
Ould Abeid a, par ailleurs, expliqué tous les efforts déployés par les organisations de pêcheurs, de la société civile mauritanienne pour qu’une telle exclusivité (pêche au poulpe) soit « non négociable » aujourd’hui . « C’est notre gagne-pain, la nourriture et les emplois pour notre population » s’est exclamé le représentant mauritanien pour contrer la campagne orchestrée par les groupes de pression européens influents au sein de leur Parlement.
Rappelons enfin qu’une résolution du Parlement Européen, en mars 2010, interdisait aux navires du vieux continent de faire concurrence aux autochtones sur des stocks de ressources pleinement exploitées.
Rejoprao
ci-après l'intégralité de l'intervention de Sid'Ahmed Abeid
Mesdames et Messieurs les parlementaires européens,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de donner l’occasion à un pêcheur artisan mauritanien de prendre la parole en tant qu’expert au sein de ce comité.
Je m’appelle Sid’Ahmed Abeid, et je suis Président de l’organisation de pêche artisanale de la Fédération Nationale des Pêches de Mauritanie. Je suis pêcheur depuis plus de 35 ans.
Comme vous le savez, la Mauritanie est un pays en développement. Il y a 35 ans, la pêche artisanale, c’était les communautés de pêche traditionnelle Imraguen, qui pêchent le mulet, et les pêcheurs ouolofs mauritaniens de la région de Ndiago. Mais l’activité qui s’est développé à cette époque, et qui a contribué à faire de la pêche artisanale un moteur du développement social et économique de notre pays, c’est la pêche au poulpe. Je peux vous en parler, car je suis le premier pêcheur qui s’est lancé, en 1978, à la pêche au poulpe.
A l’époque, je me souviens, nous n’étions que 17 embarcations artisanales.
Nous pêchions un peu de poisson à écailles, aussi du chien de mer, qu’on appelle chez nous le tollo -, mais nous ne vendions nos produits que 7 ouguyas, - 2 centimes d’euros-, le kilo. En 1978, des gens de la coopération japonaise sont venus me voir et m’ont dit que c’était possible de capturer du poulpe avec des pots, que cela donnait un produit de très haute qualité qu’on pourrait leur vendre à un très bon prix. Alors, je me suis lancé. J’ai expérimenté toutes sortes de matériaux pour faire mes pots: du ciment, du PVC, des boîtes de conserves, mais ce n’était jamais idéal: les pots se cassaient, étaient trop fragiles ou trop lourds.
Un jour, je suis allé à Las Palmas, et j’ai trouvé que les espagnols vendaient de l’eau dans des bouteilles de 5l, qui étaient juste à la bonne taille pour mes pots. Je suis allé voir l’usine de bouteilles et je leur ai acheté 4000 bouteilles, qu’ils ont bien voulu adapter pour faire mes pots, et j’ai tout envoyé en Mauritanie. Le résultat a été excellent. Et comme cela arrivait juste après la grande sécheresse de 1973, beaucoup de mauritaniens qui avaient migré vers la côte, se sont mis à pêcher le poulpe avec des pots, comme moi. Quelques années plus tard, en 1984, à la création de la SMCP, - la société mauritanienne pour la commercialisation des produits de la pêche-, nous avons été les premiers à lui livrer nos produits.
Aujourd’hui, nous sommes 36.000 pêcheurs artisans et nous utilisons 7.500 embarcations artisanales. Pour ce qui est de la pêche de poulpe, nous assurons 60% de la production nationale en quantité et 70% en valeur. Nous fournissons 90% de l’emploi dans le secteur, avec des gens qui travaillent dans 50 usines de traitement de congélation des produits, dans 12 ateliers de fabrication de pirogues, et dans des centaines de magasins de vente de matériel, des milliers de mareyeurs, de transporteurs, de fabricants de pots, etc. Dans la pêche artisanale, la valeur ajoutée est de 8 fois supérieure à la valeur ajoutée dans la pêche industrielle.
Ce que je vous raconte là, c’est ce que nous, nous appelons LE DEVELOPPEMENT.
Mais nous voulons également inscrire ce développement dans une perspective de PECHE DURABLE.
Il faut d’abord rappeler que la pêche au pot est une pêche sélective: nous prenons à la main le poulpe qui se cache au fond du pot, et s’il est trop petit, nous le remettons vivant dans la mer. De toute façon, pour nous qui ne ciblons que la première qualité, ces poulpes juvéniles ne sont pas intéressants.
D’autre part, Certaines mesures ont été prises ces dernières années pour aller vers plus de durabilité:
- nous avons 4 mois d’arrêt biologique par an;
- un poids minimum de 500 grammes éviscéré a été mis en place pour les captures de poulpe;
- un second plan d’aménagement de la pêcherie est en cours de finalisation, qui permettra de maitriser les capacités.
Je veux aussi souligner que des Etats européens soutiennent ces efforts de durabilité, y compris:
- la coopération française, l’AFD, a financé toutes les études pour la mise aux normes sanitaires de nos usines, ainsi que des formations de pêcheurs pour la sécurité en mer, avec des dons de gilets de sauvetage;
- la coopération allemande, depuis des années, investit dans le renforcement du contrôle et de la surveillance.
Ces dernières années, nous avons également souhaité diversifier nos activités, en particulier développer la pêche artisanale à la sardinelle, car la population mauritanienne se tourne maintenant vers ce poisson pour le plat quotidien.
Pour l’instant, cette sardinelle est pêchée près de la côte, dans les zones jusqu’à 20 mètres de fond. Ce que nous voulons, c’est développer une flotte de bateaux artisans plus solides, qui permette aux pêcheurs d’aller en toute sécurité dans des zones plus profondes.
Comme les sardinelles sont un stock partagé avec nos voisins d’Afrique de l’Ouest, et vu que cette ressource est très importante pour l’alimentation de nos populations, nous discutons avec nos collègues pêcheurs artisans sénégalais, gambiens pour voir comment promouvoir auprès de nos états la mise en place d’une gestion commune, qui donne la priorité à la pêche artisanale et à l’approvisionnement des marchés locaux.
Si je vous explique tous ces projets que nous avons pour développer durablement notre secteur, c’est pour que vous, parlementaires européens, compreniez bien les enjeux de notre partenariat avec l’Europe. Car l’Europe est, et restera, notre premier partenaire en matière de pêche, mais nous voulons que ce soit un PARTENARIAT JUSTE.
Nous nous battons pour cela depuis 1996, d’abord au niveau national, puis international, ce qui me permet aujourd’hui de venir vous parler directement.
Et de vous dire ceci: nous avons les moyens matériels et humains pour exploiter de façon durable notre stock de poulpe et une grande partie de nos autres ressources. Ce qui peut être pêché par les pêcheurs mauritaniens, doit lui être réservé. LAISSEZ NOUS NOTRE POULPE!
Ce même message, nous l’avons aussi adressé à notre gouvernement lorsqu’il a négocié une convention avec la société chinoise Poly Hondone en 2011, qui allait contre nos intérêts.
Nous avons fait campagne, mobilisé la société civile et les médias, organisé des ateliers, des manifestations de protestation en face des bureaux de l’administration; nous avons confronté nos fonctionnaires à la télévision pour leur dire la même chose: ce que nous pouvons pêcher nous-mêmes doit nous être réservé.
Pour nous, c’est quelque chose de non négociable, car c’est notre gagne-pain, la nourriture et les emplois pour notre population.
Concernant la Convention avec les chinois, nous avons reçu une bonne nouvelle la semaine dernière: le gouvernement a fait savoir que les activités de la société chinoise Poly Hondone devaient dorénavant se limiter aux petits pélagiques, et le Président de la République a annoncé que les conditions faites aux chinois, et à toute autre flotte étrangère, seraient les mêmes que celles faites aux Européens. Il a aussi précisé que le poulpe sera réservé aux mauritaniens, particulièrement à la pêche artisanale.
Ces conditions techniques faites aux flottes européennes, pour nous, elles vont dans le bon sens.
D’abord, elles nous permettent d’exploiter nous-mêmes notre poulpe. C’est l’élément essentiel du protocole.
Les nouvelles zones de pêche sont également une avancée positive. Repousser les chalutiers plus au large va contribuer à protéger les fonds marins, diminuer les accidents avec les pirogues artisanales, diminuer la compétition avec nos pirogues et aussi diminuer les CAPTURES ACCESSOIRES.
Pour vous donner un exemple, vous rendez-vous compte, ici au Parlement européen, que la moitié de notre stock de daurade est prise comme capture accessoire des chalutiers ciblant la sardinelle? Et puis, on nous demande de gérer durablement cette ressource. Comment voulez-vous qu’on fasse?
Pour ce qui est de la compensation financière, pour nous, le plus important, ce n’est pas d’avoir 1 million, ou 10 millions, ou 100 millions d’euros, c’est que l’argent soit bien utilisé, de manière transparente, pour promouvoir le développement.
La TRANSPARENCE DANS LE SECTEUR DE LA PÊCHE, que ce soit pour l’utilisation des financements destinés au secteur ou pour les conditions de licence, est pour nous un élément essentiel. Nous avons dans ce cadre soutenu l’intégration du secteur de la Pêche dans l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE), qui est en train d’être mise en oeuvre par le Ministère de la Pêche et de l’Economie maritime.
En matière d’utilisation des fonds de la contrepartie financière des accords, nous, pêcheurs artisans, regrettons beaucoup de n’avoir encore rien vu de l’Union européenne en termes d’investissements dans les infrastructures, ni en termes de transfert de technologies: des ports, des usines de transformation pour nos produits, des entrepôts de stockage, des programmes de formation, etc.
De tels INVESTISSEMENTS seront aussi importants à mettre en place si nous voulons développer un vrai partenariat ‘gagnant-gagnant’, ce que nous espérons pouvoir faire dans le cadre de ce nouveau protocole. Et nous espérons votre appui pour cela.
Je vous remercie
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