Rejoprao-Mauritanie! Pour une pêche durable

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La recherche halieutique, le fondement pour une gestion durable des ressources

Interview avec le Dr Moctar Bâ, ancien directeur du Centre national de Recherches océanographiques de Mauritanie, le CNROP (actuel IMROP), ancien directeur du Projet régional 'Système d’Information et d’Analyse des Pêches' (SIAP), actuellement consultant et membres de plusieurs comités scientifiques et techniques des instituts de recherche de la région ouest africaine.

 

Q: La mauvaise gestion des ressources halieutiques, notamment dans les pays ACP, est souvent évoquée comme étant la raison de la surexploitation de ces ressources…

R: C'est vrai qu'à l'heure actuelle, l'état des ressources halieutiques est préoccupant. Dans les pays ACP comme dans les autres parties du monde, les politiques adoptées pour réguler l’exploitation des éco-systèmes marins ont globalement failli: ce qui en résulte aujourd’hui, c’est une surexploitation des stocks, une surcapacité des flottes, la multiplication des conflits entre flottilles et entre usagers pour l’exploitation de stocks insuffisants, et des pratiques illicites de plus en plus agressives et difficile à contrôler.

Pour les pays ACP, on attribue cet échec au manque de moyens, mais si c’est vraiment cela qui explique la faillite des politiques de pêche, comment justifier l’échec dans les pays du Nord qui, eux, disposent de suffisamment de moyens? De mon point de vue, ce sont non seulement les moyens qui font défaut, mais aussi la vision et la volonté politique. En réalité, les dirigeants politiques comme les organisations professionnelles, du nord comme du sud, en privilégiant le très court terme, n’ont toujours pas intégré l’importance des mesures de gestion des ressources naturelles. Généralement, il faut un effondrement clair d’une ressource, avec son cortège de conséquences, pour réveiller la prise de décision, comme cela a été le cas pour le poulpe en Mauritanie.

Q: Pensez-vous que la recherche ait une responsabilité dans cette mauvaise gestion?

Pour moi, le principal objectif de la recherche halieutique devrait être d’obtenir des résultats pertinents et de qualité, qui répondent aux besoins d’une gestion rationnelle des ressources, pour assurer leur préservation. Et c’est vrai que, vu l’état actuel des ressources, on peut se poser la question de la pertinence, de l’efficacité et de l’utilisation des avis scientifiques et techniques que fournit la recherche. Un proverbe arabe dit: "Maudite soit la science qui n’est pas utile aux hommes". Face à la situation actuelle, il est clair que les chercheurs doivent se poser des questions sur les approches qu’ils utilisent….

Q: Sur quels aspects de ces approches faudrait-il que les chercheurs s’interrogent?

Il y a diverses questions à se poser, par exemple: les structures et les moyens disponibles pour la recherche halieutique au niveau national, sous-régional et régional des pays ACP sont-ils adéquats? Les définitions des unités d’aménagement utilisées jusqu’ici continuent-t-elles d’être pertinentes? Ne faudrait-il pas essayer de bien comprendre la stratégie des pêcheurs afin de pouvoir mieux définir des unités (stocks + pêcheurs) qui seront aménageables? La négociation des accords de pêche ou le contrôle et la surveillance peuvent-ils être facilités par l’adoption de meilleurs mécanismes de régulation de l’accès? N’est-il pas nécessaire d’entreprendre des études d’impact sur les effets des aires marines protégées?

Il est aussi utile de souligner que pour que les scientifiques puissent émettre des avis pertinents, il y a un préalable évident, mais très souvent ignoré: il faut que les programmes de recherche qui sous-tendent ces avis, apportent des éléments permettant de réaliser ce type d’analyse. C’est là tout l’enjeu de la pertinence de la programmation scientifique qui, dans le cas d’une recherche pour le développement et l’aménagement, ne peut se faire sans une analyse fine du secteur. C’est une autre question importante que les chercheurs doivent se poser: ne faut-il pas mettre en place une instance d’orientation de la programmation scientifique impliquant les gestionnaires des pêches, nationaux et sous régionaux, et les professionnels afin que les gestionnaires puissent disposer en temps utile et sous forme adaptée des résultats qui répondent à leurs besoins?

Q: Mais, est-il pensable de revoir l'approche de la recherche quand on sait que beaucoup de structures de recherche ACP vivent des situations difficiles, par manque de moyens?

R: Il est vrai qu'il y a un manque de moyens financiers et de personnel d’encadrement expérimenté au niveau de la recherche, avec parfois des chercheurs qui se démotivent vu le manque de perspectives de carrière. Les capacités des structures de recherche existantes, dans les domaines des sciences sociales, humaines, environnementales et juridiques, sont aussi insuffisantes: par exemple, les analyses économiques actuellement proposées ne reflètent pas une approche qui pourrait comparer les avantages et inconvénients de différents schémas d'exploitation des ressources, avec différentes flottes impliquées.

Il y a aussi des facteurs externes qui peuvent affecter le fonctionnement des centres de recherches. Ainsi, les difficultés financières du Centre de Recherches Océanographiques de Dakar Thiaroye (CRODT) se sont accentuées à partir de 2006 suite au non renouvellement du Protocole de l’accord de pêche avec l’Union européenne (UE), mais également du fait de la modestie de la subvention versée par l’Etat. La compensation versée par l’UE dans le cadre des actions ciblées du Protocole d’accord 2002-2006, couvrait, en effet les 90 % du budget de fonctionnement du Centre de recherches. Cette situation est préjudiciable à la mise en œuvre correcte des activités de recherches du CRODT. D’autre part, la fuite des cerveaux, illustrée par le départ massif des chercheurs vers des organismes privés, a eu des répercussions négatives sur le fonctionnement du Centre. L’effectif des chercheurs du CRODT a chuté: de 30 chercheurs en 1990, il n’en reste que 7 aujourd’hui!

Du côté positif, il faut compter avec ce que la coopération scientifique, régionale et internationale peut nous apporter. L’évaluation de stocks à l’échelle sous-régionale, l’organisation de groupes de travail communs, de séminaires de formation, d’échanges d’experts - tout cela a déjà beaucoup contribué au développement des capacités de recherche nationales des pays ACP-, et il faut continuer dans cette voie.

Ceci dit, pour moi, il est pleinement justifié d'accorder plus de moyens pour permettre une amélioration de la recherche halieutique. Après tout, les avis et recommandations des scientifiques et techniques sont la pierre angulaire sur laquelle se construit la gestion. Avoir des fondations solides, grâce à une recherche pertinente et efficace, ce n'est pas un luxe pour des pays ACP où une bonne gestion des ressources halieutiques peut amener des retombées importantes, en termes économiques et de création d'emploi.

Q: Parlons de cette gestion: vous avez insisté sur la faillite des politiques de gestion. A quoi l’attribuez-vous?

R Les causes sont certainement nombreuses mais en général leur échec découle de l’absence de système de régulation performant et cohérent, induit par un manque de hiérarchisation des objectifs et des actions. Vous savez, on ne peut pas maximiser simultanément le chiffre d’affaires, l’emploi, le revenu des pêcheurs et des armements, la création de devises, ou la rente halieutique, - un compromis est indispensable. Car il faut bien comprendre que les différents objectifs ne sont pas atteints avec le même niveau d’exploitation des ressources. Une politique qui favorise dans son système d’exploitation la valeur ajoutée et la création d’emplois, plutôt que la rente de la ressource halieutique, sera moins efficace pour le pays d’un point de vue purement économique. Par contre, en cherchant à maximiser la rente halieutique, on réalisera automatiquement l’objectif biologique classiquement recherché dans la gestion des pêches, car le niveau d’exploitation permettant de maximiser la rente halieutique se situe en deçà du niveau qui maximise les captures durables (MSY).

Peu de pays ACP néanmoins ont débattu de la façon dont le secteur des pêches peut contribuer aux objectifs macro-économiques et de la manière de hiérarchiser les objectifs sectoriels en fonction des priorités politiques retenues. De tels débats sont pourtant essentiels pour avancer dans le processus de gestion durable des pêches.

Q: Quelles seraient les étapes nécessaires pour la mise en place de cette gestion durable des ressources des pays ACP?

R: Gérer mieux, c’est comprendre mieux. La marche à suivre? Ce n'est pas un secret: il faut d'abord mettre en place une politique sectorielle avec des objectifs clairement définis accompagnée d’une stratégie cohérente. Vient ensuite la mise en place d'un cadre légal pour appliquer cette stratégie, ainsi que la mise en place de plans d'aménagement des pêcheries pluriannuels, évolutifs, afin de garantir une certaine stabilité d'exploitation tout en intégrant le concept de durabilité dans la gestion du secteur. Ces plans d'aménagement doivent également être consensuels et obtenir l'appui des différents acteurs et utilisateurs de la ressource.

Aujourd'hui, on est, malheureusement, encore loin du compte.... Si on veut arriver à mettre en place un système complet d'aménagement des pêcheries, les gouvernements des pays ACP doivent investir dans ce que j'appelle les quatre 'piliers': un système d’information intégré; un système d'évaluation prévisionnelle et de modélisation bioéconomique; un système d'allocation des autorisations de pêche et enfin, un système de surveillance.

Q: Vous parlez d'investissements dans ces quatre piliers. On peut concevoir assez aisément des investissements dans les systèmes d'information, d'évaluation, de surveillance, en revanche, comment aborder la question de l'allocation des autorisations de pêche?

R: La régulation de l’accès, c'est un enjeu clé de la gestion des pêches. Les ressources se trouvant dans les zones économiques exclusives (ZEE) des pays ACP sont à même de contribuer au développement économique, à la lutte contre la pauvreté. Pour leur conserver ce potentiel, il est important que les décideurs comprennent mieux à quel point il est important que l'accès soit bien régulé. Trop souvent, les décisions prises, - en particulier l'octroi des autorisations de pêche-, sont des décisions peu transparentes qui ne prennent pas en compte le long terme.

Il est utile de souligner aussi que dans le cadre institutionnel en vigueur, les administrations des pays ACP chargées de l’aménagement ne peuvent pas prendre en compte la valeur que prennent les droits d’usage avec la raréfaction des ressources ou les perspectives d’intensification technique. Ceci explique le recours fréquent à des décisions au coup par coup pour une allocation à court terme des droits d’usage, méthode qui n’est ni la plus efficace, ni la plus équitable.

De mon point de vue, tant qu’une stratégie appropriée, soutenue par une volonté politique forte, n’est pas développée, il est impossible d’aller de l’avant pour réguler efficacement l’accès à la ressource, pour réformer les accords de pêches et les rendre plus équitables et compatibles avec une exploitation durable des ressources.

Q: Parlant des accords de pêche avec l’Union européenne, la coopération scientifique devrait-elle être une priorité?

R Les pays d'une même région connaissent souvent les mêmes problématiques en matière de pêche: stocks partagés, similitude des ressources, des systèmes de production et des marchés dans ces pays - la coopération scientifique des structures de recherche nationales au sein d'une même région permet de les stimuler, par l’échange des connaissances et le débat d’idées. Il est clair que ce genre de dynamique régionale mérite l'attention et l'appui de nos partenaires comme l'Union européenne.

L’analyse par les chercheurs des pays ACP, avec la participation des experts de l’UE, des grands problèmes de développement et d’aménagement des pêches permettrait une meilleure identification des thèmes prioritaires de recherche répondant aux besoins du développement et de l’aménagement. De cette façon, la pertinence, la cohérence et l’exhaustivité des recherches conduites à l’échelle des pays ACP seraient renforcées.

Q: Pour conclure, quel message voulez-vous adresser aux pays ACP?

R Je veux leur dire que l’enjeu se situe au niveau de leurs capacités et celles de leurs partenaires de l’UE à exploiter leurs ressources halieutiques, à faire preuve de solidarité et de complémentarité pour instaurer un nouveau style de partenariat gagnant-gagnant, reposant sur la durabilité de la biodiversité, le partage des responsabilités, l’égalité, le respect et l’adoption de décisions mutuellement bénéfiques, sur la base des avis scientifiques et techniques pertinents.

Source: Agritrade Fisheries News Update - December 2009

http://agritrade.cta.int/fr/content/view/full/4899

 

 



18/01/2010
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